Les chemins du sud

2019, Musée régional d’art contemporain, Sérignan.

Cur. Emmanuelle Luciani et Charlotte Cosson.

Artists :

FR / “Les Chemins du Sud” invite à une traversée de l’Histoire de l’art depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Celle-ci prend le contrepied de celle écrite entre Paris et New York au cours du XXe siècle. Elle retrace, sur la totalité des espaces d’expositions du MRAC et à l’Abbaye de Fontfroide, une généalogie d’artistes qui, refusant de s’insérer dans la rupture, ont conservé un lien avec le temps long de l’Histoire et de la Terre. Les œuvres qui la composent ont été produites en dehors des capitales européennes et américaines, dans un sud envisagé comme un pas de côté vis-à-vis de l’industrialisation et du progrès ayant marqué la modernité. Les œuvres produites dans ce cadre l’ont été de manière artisanale, en mettant en avant le décoratif, le coloré et, souvent, une grande humilité. Ces artistes incarnent une forme de résistance face à la distinction entre les arts dits mineurs et ceux dits majeurs, entre le peintre et le décorateur, entre l’artiste et l’artisan. Ils proposent l’idée d’une “ornementation comme soin” – dans son rapport à la nature, au monde et aux autres.

Alors que depuis quelques années Emmanuelle Luciani & Charlotte Cosson rassemblent une communauté d’artistes avec lesquels elles produisent des œuvres issues de leur théorisation d’une nouvelle articulation entre centres et périphéries, leur exposition “Les Chemins du Sud” offre une histoire de l’art alternative de la modernité. La traversée alter-progressiste et non-industrielle proposée au MRAC met ainsi l’accent sur quatre moments distincts de cette histoire commencée au XIXe siècle : l’école de Marseille représentée par Théodore Jourdan et Adolphe Monticelli ; celui du tournant du XXe siècle avec William Morris, Odilon Redon, Gustave Fayet ou Raoul Dufy qui ont défendu l’artisanal et le beau contre une certaine idée de la modernité ; les artistes du mouvement Pattern & Decoration (Betty Woodman, Robert Kushner, Joyce Kozloff) qui, à partir des années 1970, ont embrassé les arts dits mineurs ; et enfin des artistes contemporains qui continuent à produire dans cette veine d’un art par et pour l’humain.

Ces artistes et leurs œuvres forment un idéal où l’humain prime sur la machine, les traditions vernaculaires sur la rentabilité et l’ornement sur la froideur industrielle. Afin de souligner l’élan commun qui émane de cet état d’esprit, les œuvres de l’exposition ne sont jamais isolées. Un esprit collaboratif et d’entraide s’offre au travers d’une scénographie pensée comme œuvre d’art. Des pièces collectives et co-signées parsèment l’exposition ; les hommages et références abondent, d’une génération à une autre, d’un continent à un autre.
Ces artistes et leurs œuvres forment un idéal spirituel résolument antimoderne, où l’humain prime sur la machine, les traditions vernaculaires sur la rentabilité et l’ornement sur la froideur industrielle. Afin de souligner l’élan commun qui émane de cet état d’esprit, les œuvres de l’exposition ne sont jamais isolées. C’est un esprit collaboratif et d’entraide qui s’offre ici au travers d’une scénographie pensée comme œuvre. Ainsi, des pièces collectives et co-signées parsèment l’exposition en sus d’hommages aux générations antérieures. Giovanni Copelli a dessiné avec Emmanuelle Luciani des étagères et des cadres pour accueillir le travail de Jenna Kaës et Bella Hunt & Dante Di Calce. Et ces derniers, comme Vincent de Hoym & Jade Fourès, ont pour leur part produit des socles afin de présenter des œuvres historiques en dehors d’un mobilier muséal habituel.

Ces sculptures, peintures, céramiques émaillées, meubles et vitraux découlent d’une pensée située en dehors des mégalopoles : d’un idéal à la marge. Ceux qui les ont façonnés proviennent souvent de l’Europe latine ou des Etats chauds des Etats-Unis. Parfois, alors qu’ils n’y sont pas nés, ils ont rejoint ce sud en pensée et/ou en action. Car le Sud, même s’il peut-être appréhendé de manière métaphorique, repose sur une distinction plus historique que géographique encore. Le capitalisme et la modernité sont indissociables. Leur rapport commun au progrès, au futur et à l'automatisation est tout aussi indéniable. Ainsi, en marge des capitales qui se globalisaient à mesure qu’elles s’industrialisaient, des artistes et des penseurs ont produit de l’ornement et utilisé des matériaux non hygiéniques, afin de prôner l’organique et la vie matérielle – en un mot : le vital.

EN / "Les Chemins du Sud" invites us to a journey through art history from the end of the 19th century to present day. It takes the opposite direction from the one written between Paris and New York during the 20th century. It retraces, throughout the exhibition spaces of the RMCA and Fontfroide Abbey, a genealogy of artists who, refusing to be part of the rupture, have maintained a link with the long time of History and the Earth. The works that make up the exhibition were produced outside the European and American capitals, in a South that was seen as step aside from the industrialization and progress that marked modernity. The works produced in this context were produced in an artisanal manner, emphasising the decorative, the colourful and, often, a great humility. These artists embody a form of resistance to the distinction between the so-called minor and major arts, between the painter and the decorator, between the artist and the artisan. They propose the idea of "ornamentation as care" - in its relationship to nature, to the world and to others.

These sculptures, paintings, glazed ceramics, furniture and stained-glass windows are the result of thinking outside the megacities: of an ideal on the margins. Their makers often come from Latin Europe or the hot states of the USA. Sometimes, even though they were not born there, they have joined the South in thought and/or action. For the South, even if it can be understood metaphorically, is based on a distinction that is even more historical than geographical. Capitalism and modernity are inseparable. Their common relationship to progress, the future and automation is just as undeniable. Thus, on the fringes of capitals that were globalising as they industrialised, artists and thinkers produced ornament and used unhygienic materials in order to advocate the organic and the material life - in a word: the vital.

While Emmanuelle Luciani & Charlotte Cosson have been gathering a community of artists for the past few years, with whom they have been producing works based on their theorization of a new articulation between centres and peripheries, their exhibition "Les Chemins du Sud" offers an alternative history of modern art. The alter-progressive and non-industrial journey offered at the RMCA thus focuses on four distinct moments of this history that began in the 19th century: the Marseille school represented by Théodore Jourdan and Adolphe Monticelli; the turn of the 20th century with William Morris, Odilon Redon, Gustave Fayet and Raoul Dufy who defended the artisanal and the beautiful against a certain idea of modernity; the artists of the Pattern & Decoration movement (Betty Woodman, Robert Kushner, Joyce Kozloff) who, from the 1970s onwards, embraced the so-called minor arts; and finally contemporary artists who continue to produce in this vein of an art by and for the human.

These artists and their works form an ideal in which the human takes precedence over the machine, vernacular traditions over profitability and ornament over industrial coldness. In order to emphasise the common impulse that emanates from this state of mind, the works in the exhibition are never isolated. A spirit of collaboration and mutual aid is offered through a scenography conceived as a work of art. Collective and co-signed pieces are scattered throughout the exhibition; tributes and references abound, from one generation to another, from one continent to another. These artists and their works form a resolutely anti-modern spiritual ideal, where the human takes precedence over the machine, vernacular traditions over profitability and ornament over industrial coldness. In order to emphasise the common impulse that emanates from this state of mind, the works in the exhibition are never isolated. It is a spirit of collaboration and mutual aid that is offered here through a scenography that has been conceived as a work. Thus, collective and co-signed pieces are scattered throughout the exhibition, in addition to tributes to previous generations. Giovanni Copelli, together with Emmanuelle Luciani, has designed shelves and frames to house the work of Jenna Kaës and Bella Hunt & Dante Di Calce. And the latter, like Vincent de Hoym & Jade Fourès, have produced pedestals to present historical works outside the usual museum furniture.